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Textes du catalogue Delia Sechel à l'occasion de l'exposition "La Porte... ou les limites qui s'ouvrent" 1989 Bucarest, Roumanie

Dan Grigorescu, historien et critique d'Art (version anglaise) - Mioara Lujanschi, essayiste et photographe

LA PORTE … OU LES LIMITES QUI S’OUVRENT



La porte symbolise un lieu de passage entre deux mondes, deux états, entre le connu et l’inconnu, entre la lumière et les ténèbres. Dans l’espace symbolique, la porte s’ouvre vers le mystère : non seulement elle signifie le passage, mais encore elle nous invite à suivre une voie, à la traverser. La porte fermée est un emblème dont les motifs signes-décoratifs géométriques se laissent lire dans un langage universel, hors du temps et de l’espace. Une porte fermée nous “laisse deviner ce qui se trouve au-delà d’elle”. Mais on a besoin de la clé, de son code. C’est pourquoi un tel thème invite le contemplateur à considérer avec beaucoup plus d’attention à transformer le champs de signification du quotidien en un champ symbolique. Il faut transposer l’élément ornemental, décoratif, en un élément symbolique ; grâce à l’analogie, les éléments décoratifs sont doublés d’abondantes connotations métaphoriques qui permettent ainsi la lecture du langage idéogrammatique.


La porte paysanne, et surtout celle de Maramureș, espace folklorique qui a conservé le mieux la spiritualité archaïque roumaine (on pense également aux villages de Breb, Botiza, Gold, pour ne citer que quelques exemples) est souvent surchargée d’éléments plastiques, géométriques mais aussi figuratifs, qui dépassent l’intention purement ornementale pour s’inscrire dans un plan symbolique qui se rapporte aux croyances et aux mythes de la tradition locale.


Ce que propose la plastique de Delia Sechel est une possible reconstruction morpho-typologique et emblématique de certains motifs anciens. La démarche de l’artiste ne se limite pas à ce qu’il y a de décoratif dans les motifs géométriques transmis par les générations, mais elle pénètre dans la signification profonde de ces “signes” qui codifient toute une mythologie archaïque, conservée dans des formes canoniques par les artistes populaires.

Cette constellation d’images exprimées par l’intermédiaire de techniques et matériaux divers (textiles, bois, papier) est focalisée dans le symbole par la fragmentation du premier geste créateur. Le retour à l’élémentaire, aux couleurs primaires, aux principales figures géométriques représente une audace assumée dans le désir de conserver la simplicité et l’harmonie des formes anciennes de l’art populaire.

Les dominantes chromatiques noir - blanc - rouge ont dans le plan symbolique des significations distinctes, qui s’entremêlent d’une manière créatrice avec les significations symboliques des principales figures géométriques : point - ligne - carré.

Les images plastiques sont construites à partir de ces éléments symboliques qui ont des connotations dans le plan linguistique, mais aussi dans le monde des objets. La ligne et le point par exemple, sont associés dans le plan symbolique au fil et au nœud, deux éléments qui renvoient à la chaîne et à la toile.


Ces symboles ont le même type de polarité que la porte (ici - au delà) mais, en outre, ils soulignent l’idée de liaison, de continuité. La chaîne, qui est fondamentale pour le tissu, tout comme le fil, revalorise l’idée de quelque chose qui “relie deux parties séparées, répare un hiatus” (G. Durand). N’oublions pas que ORDIRI (synonymes d’EXORDIUM et PRIMORDIA) signifiait à l’origine “la mise en place du fil de la chaîne pour commencer un tissu” (Bréal, Sémantique).

Platon a choisi le tissu comme le symbole apte à représenter le monde. Les tisseuses ouvrent-renferment indéfiniment des cycles individuels historiques et cosmiques (cf. Les Parques les Moires).

Le symbolisme du fil est celui de l’argent qui “relie tous les états d’existence entre eux à leur principe” (R.Guénon). Le fil établit la liaison entre les différents niveaux cosmiques (infernal, terrestre, celeste) ou psychologique (conscient, subconscient, inconscient).

L’isomorphisme ligne - fil - tissu se complète, sur un autre plan, avec la série point - noeud - cercle qui implique l’idée de cycle, de circularité, de continuité. Le cercle est le symbole de la totalité temporelle et du recommencement (cf. G Durand), tandis que la roue est une métaphore qui unifie plusieurs éléments symboliques.

Une autre règle de composition de ces images emblématiques est le nombre symbolique. Ayant comme fondement la polarité (la dualité) impliquée par le symbolisme de la porte : s’ouvrir-se fermer, entrer-sortir, conjonction-disjonction (Sergiu Al. George “Archaïque et universel”) féminin-masculin, soleil-lune, nuit-jour, le champ symbolique des nombres s’étend par quatre (saisons, points cardinaux, etc.) et douze (mois).

Ces exemples de champs symboliques et les interférences subtiles qu’ils produisent suggèrent quelques directions pour la “lecture” de l’image. La conjonction de ces symboles dans les images emblématiques permettent à la porte de s’ouvrir vers “l’iter perfectionis”. Mircea Eliade disait qu’en approfondissant et en éclaircissant le symbole central d’une œuvre d’art on facilite la compréhension et le plaisir, réalisant les conditions optimales d’une contemplation esthétique accomplie”.

L’idée de l’exposition actualise en même temps la fusion de la création plastique moderne avec l’univers des formes plastiques de la culture populaire roumaine, soulignant de la sorte la continuité et la permanence de la tradition spirituelle roumaine.

Mioara Lujanschi, essayiste et photographe